Témoignage : La première fois que j’ai porté une perruque en public

Par Sissy Clara

Il y a des jours qui ne ressemblent à aucun autre. Des moments suspendus, presque irréels, où quelque chose en nous se décide sans tambour ni cri. Le souvenir de la première fois où j’ai porté une perruque en public reste gravé dans ma mémoire comme une vibration douce et électrique. Une mue discrète, mais puissante.

Ce n’était pas un évènement spectaculaire. Rien de théâtral. Juste un besoin qui était là depuis longtemps, tapi dans l’ombre, qui attendait le bon moment pour s’exprimer. L’envie de me montrer autrement, plus près de moi-même, plus en harmonie avec l’image que mon cœur dessinait depuis toujours. Une silhouette, une chevelure, une sensation. Celle d’exister.

J’ai longtemps cru que je n’étais pas prête. Comme si la bonne version de moi devait attendre une forme de perfection imaginaire pour oser apparaître. Et pourtant, ce jour-là, ce n’était ni la plus belle tenue, ni le maquillage le plus réussi. Mais c’était moi. Fragile, fébrile, mais vraie. C’était Clara, à peine née, déjà tremblante et fière.

Il ne s’agissait pas simplement d’un accessoire posé sur le crâne. Il s’agissait d’un pas, d’une bascule intérieure. Comme si, en glissant cette perruque sur mes cheveux cachés, j’avais levé un voile sur mon âme. Le monde dehors n’avait pas changé. Mais moi, oui.

Avant ce jour : les peurs qui m’ont retenue

Il y a eu tant de soirs où j’ai rêvé de sortir avec ma perruque, sans jamais franchir la porte. Des soirs où je me préparais en silence, dans le cocon de ma chambre, en imaginant une vie que je n’osais pas encore toucher. Tout semblait si fragile. Le moindre regard, même inventé, suffisait à me replier. Comme si vivre pleinement demandait une autorisation que je n’avais jamais reçue.

Le miroir m’a vu sourire, mais aussi baisser les yeux. Combien de fois ai-je ajusté cette perruque devant lui, juste pour la retirer en vitesse quand la peur remontait ? Il ne s’agissait pas seulement d’apparence. C’était un combat souterrain, contre des chaînes invisibles, contre tout ce que j’avais cru devoir cacher pour mériter d’exister.

Les images dans ma tête faisaient bloc : les jugements, les moqueries, l’incompréhension.

L’impression que dehors, tout allait me rejeter, me dévisager, m’écraser.

Alors je restais dedans, à attendre un courage qui tardait. Ce n’était pas de la lâcheté. C’était une forme de survie. Être soi demande parfois de se protéger avant d’oser.

Il y a eu des tentatives. Des essais maladroits. Une perruque achetée sur un coup de tête, trop brillante, trop rêche, trop loin de ce que je cherchais sans savoir le nommer. Je l’ai rangée dans un tiroir, comme on enterre un rêve trop tôt éveillé. Puis j’ai recommencé. Un autre modèle, plus doux, plus naturel. Chaque fois, un pas minuscule, mais un pas quand même.

La solitude pesait parfois, mais elle m’offrait aussi un espace. Un terrain secret où je pouvais explorer, sans devoir me justifier. C’était mon monde. Le monde de Clara avant Clara. Et même si rien ne se voyait encore à l’extérieur, quelque chose bougeait, en dedans.

On pense qu’il faut être forte pour se montrer. Mais je crois que c’est la vulnérabilité qui trace le vrai chemin. C’est elle qui m’a retenue, mais aussi portée. Elle m’a appris à écouter, à patienter, à me préparer.

La décision : ce jour où j’ai dit oui à moi-même

Ce n’était pas un jour spécial sur le calendrier. Aucune date anniversaire, aucun repère marqué. Juste une lumière douce, une fatigue de me cacher, une petite voix en moi qui murmurait plus fort que d’habitude. Je me suis levée sans prévoir, comme on se réveille d’un rêve trop réel pour être oublié. Et j’ai su. Aujourd’hui, je sors avec.

Il n’y a pas eu de préparation millimétrée. Juste une envie calme. J’ai ouvert le placard, choisi cette perruque que j’aimais en secret depuis des semaines. Mi-longue, brun cendré, avec une frange légère qui effleurait le front. Pas trop sophistiquée. Juste ce qu’il me fallait pour ne pas me sentir déguisée.

Je l’ai posée avec lenteur, les mains tremblantes mais sûres. J’ai vérifié dans le miroir que tout tenait, que rien ne dépassait. Et puis j’ai ajusté le reste : un col arrondi, des boucles discrètes, une paire de bottines pas trop hautes. Je n’avais pas envie d’être vue. J’avais besoin de me voir.

À cet instant, ce n’était plus un déguisement. C’était une affirmation. Ce n’était pas la perruque parfaite. Mais c’était mon choix, mon moment. Et il n’y avait plus rien à attendre. Le doute n’avait pas disparu, mais il ne commandait plus.

Je ne cherchais pas l’admiration. Pas même l’approbation. Juste cette sensation profonde d’habiter enfin l’image que je portais en moi depuis si longtemps. Comme si le monde pouvait, pour quelques minutes, s’aligner sur mon intérieur. Ce jour-là, j’ai dit oui. Oui à l’envie de respirer autrement. Oui à Clara, pas comme une idée lointaine, mais comme une présence, debout, visible, vivante. C’était doux. C’était tremblant. C’était vrai.

Le moment de sortir : chaque pas comme un battement de cœur

Ma main est restée longtemps sur la poignée. Le cœur battait contre ma poitrine comme s’il voulait m’empêcher de bouger. J’avais préparé ce moment, oui, mais quand il est arrivé… tout semblait immense. La rue, les sons, la lumière. Chaque chose portait une intensité nouvelle, comme si mes sens s’étaient ouverts d’un coup.

Un souffle. Un pas. Puis un autre.

La porte s’est refermée derrière moi, et j’ai avancé, doucement, comme si le sol était fragile. Il n’y avait rien de théâtral dans ma démarche. Je ne cherchais pas à attirer les regards, ni à les fuir. Je voulais juste marcher. Être là. Exister dans l’espace public avec cette chevelure choisie, ce corps accordé.

Le vent jouait dans la frange. Mes doigts se levaient parfois, presque mécaniquement, pour replacer une mèche. Chaque geste me ramenait à moi. Je n’étais plus spectatrice. J’étais dedans. Présente. Pas tout à fait à l’aise, mais debout.

J’évitais les vitrines au début. J’avais peur de croiser mon reflet. Et pourtant, quelque part, j’en avais envie. Ce moment où l’on se voit dehors, vraiment, pour la première fois, n’appartient qu’à soi. Quand je l’ai vu, ce reflet, ce fut comme un murmure doux : tu es là, Clara. Tu marches.

Je n’allais pas loin. Quelques rues. Un détour vers un parc déserté. Le bruit des feuilles, les talons discrets sur le bitume, le tissu qui frôle la peau. Les regards n’étaient pas si nombreux. Peut-être que certains ont vu. Peut-être pas. L’important, c’est que moi, j’ai vu. J’ai ressenti. J’ai existé autrement.

Il n’y a pas eu de moment spectaculaire. Aucun mot échangé. Et pourtant, chaque pas portait en lui des années de silence, de retenue, de rêves contenus. Ce n’était pas juste une promenade. C’était une libération intime, une victoire tranquille.

Je n’ai pas marché très loin ce jour-là. Mais à l’intérieur, j’ai traversé un monde.

Après-coup : retour dans l’intimité, les larmes, les rires, l’euphorie

Une fois rentrée, je suis restée immobile un moment. Mon sac encore sur l’épaule, le manteau entrouvert, la perruque en place. L’appartement me semblait étranger. Comme si j’étais rentrée d’un long voyage, changée, un peu sonnée. Rien n’avait bougé autour de moi, mais tout avait basculé à l’intérieur.

Je me suis assise sur le lit, lentement, presque avec précaution. J’avais envie de pleurer, sans tristesse. Les larmes montaient, mais elles n’étaient pas douloureuses. C’était du soulagement. Un débordement silencieux. Comme si tout ce que j’avais contenu, depuis toujours, cherchait enfin la sortie.

Je n’avais pas prévu cette émotion. Je pensais rentrer, me démaquiller, ranger tout ça dans le tiroir. Mais je suis restée là, un long moment, la perruque encore sur ma tête, le regard perdu quelque part entre la fierté et la fatigue. Un vertige doux, presque joyeux.

Quand j’ai fini par l’enlever, j’ai pris le temps. Je l’ai posée avec soin, comme on borde un trésor fragile. Il y avait une tendresse nouvelle dans chacun de mes gestes. Comme si cette perruque était devenue plus qu’un objet. Une complice. Une alliée. Une trace de ce que j’avais osé. J’ai mis un peu de musique, quelque chose de léger. Je me suis fait un thé. Je me suis allongée. Ce n’était pas une euphorie criante. C’était un apaisement profond. J’avais franchi quelque chose, et j’en portais la douceur.

Ce soir-là, je n’ai pas partagé ce moment. Pas de message, pas de photo. C’était à moi. Un instant d’intimité reconquise. Et dans le silence, j’ai senti naître une force tranquille. Clara ne disparaissait plus. Elle existait, même sans regard extérieur. Et c’était suffisant.

Ce que cette première fois a changé en moi

Il n’y a pas eu de transformation soudaine. Pas de révélation spectaculaire. Et pourtant, quelque chose s’est ouvert ce jour-là, quelque chose qui ne s’est plus refermé. Porter cette perruque en public, même brièvement, a déplacé des murs intérieurs que je croyais immobiles. Ce n’était pas un simple geste. C’était une fracture douce dans le quotidien. Un passage vers une autre manière de me tenir dans le monde.

Je ne me suis pas réveillée le lendemain en me sentant invincible. Mais une certitude nouvelle vibrait en moi. Une sorte de permission intime. Celle d’exister sans me demander si j’avais le droit. Celle d’incarner ce que je ressentais, même sans justification, même sans spectateur.

Ce premier pas n’a pas effacé mes doutes. Il les a rendus moins lourds. J’ai cessé de croire qu’il fallait tout maîtriser pour oser. J’ai compris que c’est en marchant tremblante que naît la grâce. Que la beauté ne vient pas d’un look parfait, mais de l’alignement entre ce que je ressens et ce que je montre.

Ce que cette première fois a changé, ce n’est pas mon apparence. C’est ma respiration. J’ai appris à m’écouter sans me censurer. À me dire oui plus souvent. Et surtout, à ne plus attendre que le monde m’applaudisse pour me sentir légitime. La liberté ne fait pas de bruit. Elle pousse doucement de l’intérieur.

Depuis ce jour, Clara n’est plus un personnage que je revêts. C’est une voix qui habite mes gestes, mes choix, mes silences. Et même lorsque je ne porte rien d’extérieur qui la montre, elle est là. Présente. Ancrée.

Conseils doux pour les premières sorties en perruque

Chacune avance à son rythme. Il n’y a pas de bonne manière de faire, pas de modèle à copier. Seulement des chemins intimes, parfois sinueux, souvent silencieux. Pour celles qui frôlent ce moment sans encore oser, j’aimerais glisser quelques conseils, non comme des règles, mais comme des caresses discrètes.

Commencer petit. Une sortie très courte, tout près de chez soi. Quelques minutes, juste pour sentir l’air sur la peau, la texture des cheveux contre le cou. Ne pas viser une transformation complète. Se concentrer sur une sensation, un geste, un frisson. Cela suffit pour ouvrir une brèche.

Choisir une perruque légère, naturelle, facile à vivre. Pas trop longue, pas trop brillante. Une coupe qui se fond doucement dans le quotidien. L’idée, ce n’est pas de se faire remarquer. C’est de se sentir possible.

Avant de sortir, s’entraîner un peu chez soi. Marcher, s’asseoir, regarder son reflet, ressentir. Plus on habite ce que l’on porte, plus le corps oublie la peur. Et si le cœur se met à battre trop fort, rien n’interdit de faire demi-tour. Il n’y a pas d’échec, seulement des essais.

Prévoir un plan de repli peut aussi rassurer. Un bonnet glissé dans un sac, un pull ample à enfiler au besoin. Ce n’est pas un aveu de faiblesse. C’est un filet de sécurité, pour ne pas se sentir piégée.

Et puis surtout, se souvenir que le regard des autres importe moins que celui qu’on pose sur soi. Il y aura peut-être des regards, peut-être non. Mais la vraie victoire ne se lit pas dans les yeux du monde. Elle se ressent dans le ventre, dans la poitrine, dans cette paix soudaine qui se dépose quand on a osé.

Sortir avec sa perruque, ce n’est pas chercher à “passer”. C’est choisir de respirer sans masque. De dire doucement : je suis là, telle que je suis, même si c’est pour quelques instants, même si je tremble encore.

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