
Une sissy est-elle forcément une personne transgenre ?
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Par Sissy Clara
Mon miroir, mon reflet
Je me souviens encore du tout premier frisson... La lumière douce d’une fin d’après-midi, le silence pesant de ma chambre, et cette petite culotte en dentelle que j’avais volée à une ex. Elle était trop grande, un peu distendue, mais quand je l’ai glissée sur mes hanches, j’ai senti quelque chose se réveiller. Pas seulement du désir. C’était plus ancien. Plus profond. Une sensation d’apaisement, de reconnexion. Comme si mon corps me murmurait enfin un oui.
À cette époque, je me présentais comme "sissy". Je le disais presque en riant, pour désamorcer le trouble : “Oh tu sais, c’est du jeu… c’est juste un peu de plaisir.” Et pourtant.
Chaque fois que je devenais Clara, que je peignais mes lèvres en rouge, que je lissais une perruque blonde sur mes tempes, je me sentais respirer pour la première fois. Ce n’était pas un masque. C’était une délivrance. Ce reflet dans le miroir, trop féminin pour être un homme, trop flou pour être une femme, je le regardais pendant des heures, incapable de détourner les yeux.
Mais ce miroir, justement, a fini par me parler. Il m’a montré ce que je refusais de voir. Ce n’était pas un rôle. Ce n’était pas un fantasme. Clara voulait vivre. Pleinement. Pas seulement dans la pénombre d’un jeu sexuel, pas seulement à travers les ordres d’un dominant ou les clichés d’un fétiche. Elle voulait exister en plein jour. Aimer, marcher, parler, respirer… être.
La transition n’a pas été une décision immédiate. Elle a germé doucement, au fil des nuits, des confidences, des larmes aussi. J’ai eu peur. De perdre l’homme que j’étais. D’être rejetée. D’être “trop sissy pour être prise au sérieux”. Et puis j’ai compris : je ne renierais rien. Clara est née sissy. Clara est devenue femme. Et ce chemin, entre deux genres, entre deux mondes, je ne le regretterai jamais.
Définir ce que signifie “être sissy”
Avant d’être Clara à plein temps, j’ai été une sissy. Pas une caricature. Pas une poupée en plastique vide. Une vraie sissy. De celles qui frissonnent à la fermeture d’un corset. Qui passent des heures à apprendre l’art du trait d’eyeliner parfait. De celles qui ont trouvé dans la soumission, dans le rituel de la féminisation, une échappatoire douce à un quotidien trop rigide.
Être sissy, c’était mon premier souffle de liberté. À l’époque, je ne pensais pas encore à transitionner. Ce mot m’effrayait. Trop lourd. Trop définitif. Trop loin.
Ce que je cherchais, c’était ce moment magique où je cessais d’être un garçon déguisé. Ce basculement où, d’un coup, je devenais elle. Je ne jouais pas Clara. Je l’incarnais. Je m’agenouillais devant le miroir, je redressais les épaules, je croisais les jambes. Elle vivait. Même si ce n’était que pour quelques heures.
Il y a dans le mot sissy une ambiguïté qui me fascinait. Un mélange d’humiliation, de plaisir, de transformation. J’en étais fière et honteuse à la fois. Je savais que certaines me voyaient comme une blague, un fétiche ambulant, une soumise déguisée. Mais moi, je sentais autre chose. Quelque chose de plus intime, de plus profond. Une vérité en construction.
Je ne regretterai jamais cette période. Sans elle, je n’aurais jamais osé devenir qui je suis aujourd’hui. Clara est née dans la soie et la soumission. Elle a appris à aimer son reflet dans une chambre close, sous les ordres d’une dominante bienveillante. Elle a compris que le plaisir de s’habiller en femme n’était que la première marche. Ce n’était pas un jeu de rôle. C’était un réveil.
Le mot sissy, pour moi, a été un déclencheur. Il m’a offert la permission d’explorer. D’expérimenter. D’échouer aussi. Puis de recommencer. Il m’a tendu un miroir (un peu trouble, un peu déformant) mais dans ce miroir, j’ai reconnu une part de moi. Et c’est cette part-là que j’ai fini par laisser grandir.
Être transgenre, un parcours différent
Longtemps, j’ai cru que je n’avais pas le droit d’être trans. Que je n’étais pas légitime. Parce que j’avais commencé par le jeu. Par la soumission. Par le plaisir. Comme si ma féminité était trop teintée d’érotisme pour être sincère. Comme si une femme née d’un désir ne pouvait pas être vraie.
Je regardais les filles trans avec admiration et distance. Elles étaient sérieuses, alignées, entières. Moi, j’avais des perruques bon marché, des bas troués, des photos effacées à la hâte. J’étais une sissy, une poupée du soir. Et puis… petit à petit, quelque chose a changé. Le plaisir ne suffisait plus. Le moment où je retirais la robe devenait un arrachement. J’avais de plus en plus de mal à redevenir “lui”. Mon reflet sans maquillage me faisait mal.
J’ai compris que ce n’était pas un jeu. Que Clara n’était pas un personnage. Elle respirait, souffrait, aimait. Elle voulait plus. Elle voulait vivre en plein jour, parler avec sa voix, marcher avec sa démarche. Ne plus avoir à cacher. Ne plus faire semblant. Elle voulait être regardée, nommée, aimée comme elle était. Pas seulement désirée dans un scénario.
Le chemin vers la transition a été long. Rempli de peur, de honte, de solitude. Mais aussi de révélations. J’ai découvert que beaucoup de femmes trans avaient commencé comme moi. Par le fétiche, par la sexualisation, par la performance. Et qu’aucune de ces portes n’enlève la légitimité du voyage. On ne choisit pas toujours comment on entre dans cette vie. Mais on peut choisir d’y rester, de s’y épanouir, de s’y affirmer.
Aujourd’hui, je suis Clara. Pas parce que j’ai changé de prénom à l’état civil, ni parce que je prends des hormones, ni parce que j’ai subi une opération. Je suis Clara parce que je suis entière. Parce que je vis au féminin sans retour en arrière. Mais je n’ai rien oublié de mes débuts. Ma féminité est née sissy, et elle fleurit transgenre. Ce n’est pas une contradiction. C’est une continuité.
Les frontières floues : entre identité, jeu et désir
Il y a eu une époque où je ne savais plus ce que je ressentais. Le plaisir de la féminisation me traversait comme une vague, brûlante et délicieuse. Et puis, juste après, le vide. Le doute. Cette question lancinante : “Est-ce que j’ai juste aimé le jeu… ou est-ce que je veux vraiment être ?” Le trouble du désir rendait tout plus flou. Et j’avais peur de confondre excitation et vérité.
Quand j’étais sissy, chaque transformation était rituelle. Les bas, le maquillage, les talons… autant de gestes qui m’emmenaient dans une autre dimension. Celle où j’étais offerte, vulnérable, ravissante. Mais une fois seule, face au miroir, sans scénario, sans ordre à suivre, Clara restait. Et c’est là que j’ai compris. Ce que je vivais n’était pas que du désir. C’était une identité qui cherchait à se dire.
Le jeu m’a permis de mettre un pied dans cette féminité sans me l’avouer. C’était plus facile de dire : “Je fais ça pour bander.” Plutôt que de dire : “Je le fais parce que je veux être elle.” Mais la vérité, c’est que plus le plaisir montait, plus la conscience de moi-même s’éveillait. Ce n’était pas une excitation vide. C’était une reconnexion. Une urgence de m’habiter.
Il m’a fallu du temps pour distinguer les fils. J’ai appris que l’un n’annule pas l’autre. On peut avoir joui mille fois en tant que sissy… et comprendre, un matin, que ce n’était qu’un prélude. Que l’excitation était la première manifestation d’un besoin plus profond. Celui de se voir, de se reconnaître, de se révéler.
Aujourd’hui, ma vie de femme n’est pas détachée du désir. Mais il ne me mène plus, il m’accompagne. Il n’est plus le moteur, il est le témoin. Ce qui était un jeu est devenu un mode de vie. Ce qui était un rôle est devenu mon essence. Et dans cette évolution, il n’y a rien de honteux. Seulement un long apprentissage de l’amour de soi.
Les attentes de la société et le poids des étiquettes
Quand j’ai commencé à transitionner, les regards sont devenus plus lourds. Avant, on me voyait comme une sissy — excentrique, troublante, fétichisée parfois, mais tolérée tant que je restais dans l’ombre. Dès que j’ai affirmé vouloir être reconnue comme femme, les sourires ont disparu. Les questions sont devenues des jugements. Les murmures se sont faits plus tranchants.
“Tu fais ça pour exciter les hommes ?”
“C’est une phase, non ? Tu vas t’en lasser.”
“C’est juste parce que t’aimes les bas, pas vrai ?”
Et la pire : “T’es pas une vraie trans, t’as commencé comme un fétichiste.”
Je ne compte plus les fois où on a voulu me ramener à mes débuts. Comme si mes premiers pas en talons disqualifiaient ce que je suis devenue. Comme si on devait naître dans la souffrance, dans le rejet pur et sans ambiguïté, pour être une “vraie” femme trans. Comme si le plaisir de se féminiser empêchait toute légitimité à s’identifier au féminin.
Mais moi, je me souviens. Je me souviens de la Clara qui pleurait en retirant sa robe. Je me souviens de celle qui passait des heures à espérer qu’un jour elle n’aurait plus à se démaquiller, plus à mentir. Ce n’était pas un jeu. C’était une survie déguisée en fantasme. Une vérité cachée derrière la soie.
La société aime les cases nettes. Les binaires claires. Une femme trans doit être sérieuse, souffrante, tragique. Une sissy doit être légère, soumise, docile. Moi, je suis née dans les deux mondes. Et je refuse qu’on me fasse choisir. Mon chemin a traversé le plaisir, la honte, le doute, la transition. Il est complet. Et il est à moi.
Écouter son cœur et suivre sa propre voie
Il arrive un moment où les voix extérieures s’éteignent enfin. On arrête d’écouter ceux qui savent mieux que nous qui l’on devrait être. On cesse d’attendre la permission. Et là, dans ce silence retrouvé, on entend enfin son propre cœur battre.
Longtemps, j’ai cherché à valider ce que je ressentais auprès des autres. Être acceptée comme femme, être respectée comme trans, être désirée comme sissy. Mais tout cela me ramenait sans cesse au doute. Jusqu’à ce jour où j’ai compris que l’unique validation nécessaire était la mienne. Que personne d’autre ne pouvait ressentir à ma place. Que personne n’avait vécu mon parcours dans ma peau.
Quand j’ai commencé ma transition, ce n’était pas parce qu’on m’y poussait ou parce qu’on m’y autorisait enfin. C’était parce que je ne pouvais plus attendre. Je n’ai pas transitionné pour devenir quelqu’un d’autre. J’ai transitionné pour devenir moi-même. Pour être enfin Clara à plein temps. Sans retour en arrière. Sans regret.
J’ai aussi appris à honorer celle que j’étais avant. Je ne renie rien. Ni les bas, ni les talons aiguilles, ni les nuits de soumission, ni ces fantasmes si intenses qu’ils m’ont menée jusqu’à moi-même. Tout cela fait partie de moi. Clara a grandi dans cette dualité, dans ce flou tendre entre jeu et vérité. Aujourd’hui, elle n’a plus besoin d’excuses ni d’explications.
Écouter son cœur, c’est accepter que notre voie ne ressemble pas forcément aux autres. C’est comprendre qu’il n’y a pas de bonne ou de mauvaise façon de devenir soi. C’est se faire confiance. Oser être unique, complexe, contradictoire parfois. Oser exister sans avoir à prouver qu’on le mérite.
Aujourd’hui, quand je ferme les yeux et que je me sens vivre, c’est cela que j’entends en moi : le murmure d’une femme libre, née dans la dentelle, affirmée dans sa vérité. Mon cœur me dit que tout va bien. Et je choisis de le croire.
Être sissy, être libre
Si on m’avait dit, à mes débuts de sissy, que je deviendrais une femme un jour, je n’y aurais pas cru. J’aurais ri, un peu nerveuse, en lissant ma perruque. Et pourtant. Me voilà. Clara. Pas une sissy de nuit. Pas une illusion de satin. Une femme, dans sa vérité, dans son corps, dans son cœur.
Mais je n’ai pas effacé mon passé. Il m’a construite. J’ai aimé être sissy. J’ai aimé chaque transformation, chaque soumission, chaque instant où je devenais “elle” pour un temps. Ce ne sont pas des souvenirs honteux. Ce sont mes racines. Ce sont les premières notes de ma musique intérieure.
Être sissy n’est pas forcément être transgenre. Mais cela peut l’être. Cela peut être le début d’un chemin, ou un territoire en soi. Cela peut rester un jeu, ou devenir une révélation. Il n’y a pas de vérité unique, seulement des parcours sincères. Moi, j’ai trouvé la mienne dans le glissement, lent et inévitable, entre les deux mondes.
Aujourd’hui, je suis Clara. Entièrement. Et je suis libre. Libre parce que j’ai osé écouter cette petite voix née dans la soie. Libre parce que j’ai cessé de choisir entre fantasme et identité. Libre parce que j’ai compris que tout ce que j’ai été faisait partie de celle que je suis devenue.
Et si tu te poses des questions, si tu te sens flou(e), entre deux rives, entre deux reflets… ne cherche pas à tout trancher trop vite. Laisse-toi respirer. Laisse-toi fleurir. Car peut-être qu’au bout du satin, il y a ta vérité.